Solidarité sociale : les deux types et leur importance dans la société

Dans certaines sociétés, la cohésion repose sur la similitude des individus, tandis que dans d’autres, l’interdépendance des rôles prime sur toute ressemblance. Cette distinction structure les relations entre les membres et oriente la gestion des conflits ou des crises collectives.

L’évolution des formes de solidarité accompagne les transformations économiques, politiques et culturelles. Des exemples contemporains montrent que ces deux types coexistent et interagissent, parfois de manière inattendue, dans le fonctionnement des groupes sociaux et des institutions.

La solidarité sociale, un pilier discret de notre vie quotidienne

La solidarité sociale ne se proclame pas sur les estrades, elle œuvre dans l’ombre de nos journées. Elle irrigue le tissu collectif à travers d’innombrables dispositifs souvent méconnus. Du côté des sciences sociales, la définition de la solidarité sociale se forge dans l’analyse du fait social selon Durkheim : un phénomène collectif, discret mais décisif. La cohésion sociale s’élabore à travers la protection sociale, la santé publique, la justice sociale. Autant de mécanismes, parfois bousculés par le débat public, qui dessinent les contours d’un filet de sécurité et d’équité.

Pour mieux cerner ces réalités, il suffit de regarder du côté des organisations de l’économie sociale et solidaire (OESS). Ces structures, qu’il s’agisse de mutuelles, d’associations, de Scop, de fondations, de coopératives ou d’entreprises sociales, fonctionnent selon une gestion démocratique, promeuvent l’intérêt général et valorisent l’engagement bénévole. La loi du 31 juillet 2014 encadre leur action. Les mutuelles et les Scop incarnent une solidarité horizontale : ici, chaque membre pèse d’un poids égal. À l’inverse, associations et fondations s’appuient sur une solidarité verticale : le lien se tisse entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, entre porteurs de projets et bénéficiaires.

Un autre acteur façonne ce paysage : la redistribution orchestrée par l’État. Elle s’inscrit dans une économie où marché, réciprocité et redistribution s’entrecroisent. L’action sociale ne s’arrête pas aux frontières du service public : l’entraide familiale relève de la réciprocité, tandis que la protection sociale ouvre la voie à la solidarité entre générations. Ce maillage de liens guide l’évolution collective, nourrit le développement, l’accompagnement et l’égalité.

Qu’est-ce qui distingue la solidarité mécanique de la solidarité organique ?

En 1893, Émile Durkheim bouscule la façon d’observer la société. Il propose deux formes de solidarité : la mécanique et l’organique. Deux logiques, deux manières de faire société. La première s’ancre dans les sociétés traditionnelles. Ici, la cohésion repose sur la ressemblance, l’adhésion à un socle de règles communes. Les individus forment une communauté homogène. Les écarts sont mal tolérés, la norme s’impose sans discussion. Le droit y est répressif : il sanctionne pour préserver l’unité du groupe.

À l’inverse, la solidarité organique est la marque des sociétés modernes. Elle prend racine dans la division du travail social. Chacun occupe une fonction précise ; la diversité des métiers crée des liens d’interdépendance. Plus la société devient complexe, plus la cohésion naît de la complémentarité des rôles. Le droit n’a plus pour vocation de punir, mais de réparer, de restaurer l’équilibre. L’individu n’est plus le reflet de son voisin, il devient une pièce unique dans un ensemble coordonné.

Pour résumer concrètement les différences entre ces deux dynamiques sociales, voici les points clés à retenir :

  • Solidarité mécanique : repose sur la similitude, caractérise les sociétés traditionnelles, s’accompagne d’un droit répressif.
  • Solidarité organique : s’appuie sur la différenciation et l’interdépendance, marque les sociétés modernes, privilégie un droit restitutif.

Cet éclairage permet de mieux saisir comment la société évolue : d’un groupe soudé par la ressemblance à un système complexe où la coopération devient le ciment du collectif.

Solidarité mécanique et organique : des exemples d’hier et d’aujourd’hui

Pour illustrer la solidarité mécanique, il suffit de regarder du côté des sociétés traditionnelles. Dans un village rural, chacun connaît son rôle, partage les mêmes croyances, suit des coutumes inchangées. La cohésion tient à la proximité, à la communauté religieuse, à la famille élargie ou aux groupes d’entraide agricole. Tout le monde avance dans le même sens. La ressemblance sert de garantie à la stabilité, à la transmission des savoirs, à la pérennité de l’ordre établi.

Avec la division du travail, le paysage change radicalement. Les sociétés modernes s’organisent autour de la solidarité organique. L’usine, l’hôpital ou l’administration en donnent la meilleure démonstration. Chaque personne y occupe une place définie, complémentaire de celle des autres. À l’hôpital, médecins, infirmiers, techniciens et personnels administratifs se coordonnent ; aucun ne pourrait accomplir sa tâche sans les autres. L’usine fait travailler côte à côte ouvriers spécialisés, ingénieurs et cadres : chaque métier compte, aucun ne peut fonctionner seul.

Pour mieux visualiser ce contraste, ces exemples sont révélateurs :

  • Le village rural incarne la solidarité mécanique : homogénéité, transmission, cohésion par la ressemblance.
  • L’hôpital et l’usine illustrent la solidarité organique : différenciation des rôles, complémentarité, nécessité de la coopération.

Dans la réalité contemporaine, la société ne se limite pas à la sphère marchande. Les organisations de l’économie sociale et solidaire, mutuelles, associations, Scop, coopératives, combinent souvent ces deux logiques. Elles montrent que l’action collective peut conjuguer fidélité à la tradition, innovation et adaptation, selon les besoins du moment.

Jeunes distribuant des repas à une personne âgée en ville

Pourquoi comprendre ces deux formes de solidarité change notre regard sur la société

Discerner la solidarité mécanique de la solidarité organique, c’est s’équiper pour mieux lire la société en mouvement. Les analyses de Durkheim, reprises et enrichies par Pierre Rosanvallon ou Jean-Louis Laville, offrent un prisme pour décrypter les évolutions de l’accompagnement social et des pratiques de coopération dans la France actuelle. La solidarité se métamorphose avec les mutations économiques, les crispations politiques, les aspirations nouvelles. Elle suit le rythme de la société, jamais figée mais sans cesse réinventée.

La solidarité mécanique rassure, car elle nourrit l’appartenance à un groupe soudé, uniforme. Mais la montée de la division du travail fait émerger une solidarité organique qui valorise les différences, la complémentarité, l’échange. Les discussions d’aujourd’hui sur la protection sociale, l’économie sociale et solidaire, ou le rôle de l’État dans la redistribution s’inscrivent dans ce dialogue entre héritage collectif et adaptation permanente.

Le néolibéralisme questionne la place de la solidarité, misant sur l’autonomie individuelle et la force du marché. Pourtant, Karl Polanyi l’a démontré : la société ne se réduit pas à la sphère marchande. Elle combine marché, réciprocité et redistribution dans une économie plurielle. Saisir cette architecture sociale éclaire les débats sur la justice, le développement et la solidarité internationale.

Voici comment les deux formes de solidarité demeurent bien présentes :

  • La solidarité mécanique façonne encore certains territoires, métiers ou traditions.
  • La solidarité organique s’impose dans l’innovation, les grandes structures, la coopération à l’échelle mondiale.

Ce double regard invite à interroger la manière dont nous tissons nos liens, construisons l’accompagnement, poursuivons l’égalité et la cohésion. Autant de chantiers ouverts pour celles et ceux qui dessinent la société de demain.

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